Le concerto pour piano en ré mineur a été l'une des œuvres les plus jouées depuis la mort de Mozart : il a reçu les faveurs du romantisme et de ses interprètes, et jusqu'à nos jours, nombre l'ont pourvu de toutes les sortes de passions, l'entrée en matière du premier mouvement aidant les plus grandes imaginations. Sauf qu'une simple analyse de la partition révèle pourtant une écriture nourrie de ruptures, de changements de rythmes, et dans ce premier mouvement pas moins de six thèmes… Si Mozart utilisa alors une tonalité révélant une angoisse (une crise) profonde, cela ne se traduisit jamais dans sa musique par un développement passionnel et psychotique. Comme le souligne le grand musicologue (et philosophe) Jean-Victor Hocquard, Mozart au contraire d'un compositeur romantique, a tenté de canaliser cette crise, de vivre avec, de refuser tout "laisser-aller", toute "effusion"… Sinon, il aurait été Beethoven, le plus grand en effet. Mais un seul thème, voir  même quatre notes lui auraient été suffisantes…

 

Seulement voilà, Mozart refusa - consciemment - le pouvoir romantique et passionnel, qui naquit pourtant de son vivant. L'interprétation proposée par Arthur Schoonderwoerd et l'ensemble Cristofori est à notre connaissance la première à venir dans ce concerto rendre hommage à la spiritualité de Mozart. Au vu du nombre d'interprétations jusqu'alors réalisées, que s'est-il passé ? Peut être aura-t-il fallu un pianoforte accompagnant des instruments "anciens" ou montés comme tels ? Peut-être le choix de ne faire jouer qu'un seul instrument par partie (un seul premier violon, un seul second, etc.…) pour en arriver à cet équilibre ? Peut être aussi la prise de son, toute de vérité, qui nous fait enfin percevoir les résonnances idéales d'une acoustique vivante ? Mais ce n'est pas tant la magnifique technique, que l'esprit qui est admirable, le jeu pour lequel vit chaque musicien, humblement, au service d'une musicalité.

 

Mozart en effet, ne réclamait pas de grand drame, mais (simplement ?) toute la vie possible. Il ne souhaitait pas accompagner un gros piano par un orchestre assourdissant. Et enfin, voici ici les vents, voici une timbale, quelques cordes : ils nous arrivent, devant, pleins de souplesses. Enfin, le grand discours de la partie soliste n'en est plus un, car il devient un chant, de la prose, puis pour les passages les plus intimes de la poésie. Pas besoin d'utiliser de gros moyens pour mettre en avant le théâtre concertant, il faut savoir éviter l'emphase, inutile, pour comprendre le cheminement intellectuel de Mozart : c'est toute la valeur de ce très beau disque.

 

 

 

L'angoisse, la crise, Mozart finira par y trouver la réponse, la canaliser dans le concerto en ut majeur qui est l'œuvre composée dans un même geste. A la suite de l'épisode en ré mineur, il lui fallait proposer une solution "Mozartienne" à la crise : repartir vers la lumière. La réponse prendra donc place dans trois autres mouvements concertants, remplis de vie, de grâce et de tendresse. Cette musique chacun la connait, naturellement ; et elle ne peut pas être jouée autrement que la tête dans les étoiles et les pieds sur les nuages (étonnant second mouvement, giratoire). Hommage soit ici rendu à Arthur Schoonderwoerd et l'ensemble Cristofori, pour nous avoir fait percevoir en quoi Mozart était pour son époque et jusqu'à nos jours, l'unique.

 

Dan

 

Je vous invite à lire l'un des ouvrages écrits par Jean Victor Hocquard : La pensée de Mozart, Mozart l'unique, Mozart musique de vérité, Mozart l'amour la mort