Si chaque grande phalange orchestrale est identifiable, quelle est alors la spécificité sonore du philharmonique de Berlin ? Bien malin celui qui pourrait avec rigueur la décrire : la douceur, la densité, la puissance, l’impulsion sonore… ou les solos alliant la virtuosité et la perfection de chacun ? Sous quel chef cet orchestre a-t-il sonné le mieux ?

 

 

Aujourd’hui, les Berliner philharmoniker proposent de la vivacité, de la virtuosité de haute précision, peu de basses, mais le son reste extrêmement soyeux : ils répondent en cela aux désirs de leur chef principal, Sir Simon Rattle ; ils sont également capables de fournir une pate sonore plus épaisse et plus dense sous les directions de Daniel Barenboïm ou de Christian Thielemann - avec toujours cette réserve de puissance incroyable. Sous l’ère Karajan, le son  « fabriqué » par ce dernier, très riche en timbres, était immédiatement reconnaissable (même s’il s’allègera légèrement à partir de 1982) ; ce « son » se remodelait encore sous les directions d’Eugène Jochum, de Karl Boehm, de Lorin Maazel... Sous l’ère de Wilhelm Furtwängler, l’orchestre était un souffle de musiques, d’un son chaud (quel étonnement lorsque en 1946  le jeune et volcanique Celibidache fit jouer un orchestre orageux !)

 

Rappelons enfin que sous les époques Furtwängler et Karajan, le mimétisme avec le son majestueux du philharmonique de Vienne était (entre autres) l’une des caractéristiques de cet orchestre. Désormais on peut dire que ces deux magnifiques phalanges ne se confondent plus, car l’orchestre Berlinois s’est complètement métamorphosé sous l’influence du renouvellement de ses membres et de son chef – qui paradoxalement venait de passer plusieurs saisons à la tête de la philharmonie de Vienne, orchestre qui lui possède toujours les mêmes caractéristiques sonores, impériales depuis le dix-neuvième siècle. Simon Rattle n’a donc pas pu agir sur le philharmonique de Vienne comme il l’a fait sur celui de Berlin, il y a là une différence fondamentale de tradition dans ces deux phalanges.

 

Pourquoi donc l’orchestre philharmonique de Berlin est-il diffèrent de ces collègues de prestige ? A notre avis, en ceci que sa tradition d’excellence est justement de ne pas s’assoir sur une tradition, mais de suivre les évolutions techniques et musicologiques les plus novatrices, de les proposer aux interprétations musicales, de se renouveler perpétuellement, de vivre dans son époque pour éveiller le modernisme. La tradition de Berlin c’est de remettre perpétuellement en question les traditions, de ne pas céder à une routine ou à des idées toutes prêtes, donc si besoin de devoir se transformer : en orchestre de chambre, en ensemble baroque, en formation de musique contemporaine... Et en toute logique, cet orchestre sait aussi utiliser les moyens techniques et médiatiques les plus en vue. Ainsi en est-il depuis la construction de la salle de la philharmonie (voulue par Karajan en 1959), édifiée par l’architecte Hans Scharoun, salle qui fut la première à être conçue en « vignoble » autour d’une scène centrale (largement copiée depuis), en passant par les enregistrements sonores et visuels numériques (Karajan années 80), jusque dans la salle de concert « virtuelle », désormais disponible en haute définition sur internet et quelquefois en direct dans certaines salles de cinéma. Diffusion planétaire, mais aussi volonté de transmettre son art (école de musique), de permettre l’accès à la musique pour tous (politique tarifaire des concerts accessibles à Berlin, invitation aux répétitions pour les jeunes), la nomination de Simon Rattle s’est traduite par une forte présence (naturelle) de cet orchestre dans la société Berlinoise. Quelques idées qui seraient certainement bonnes à importer…

 

Unique, l’orchestre philharmonique de Berlin l’est surtout artistiquement ; c’est quasiment l’un des seuls au monde capable de suivre tous les grands chefs et tous les grands interprètes, dans la plus extrême virtuosité, en respectant le répertoire – et en essayant de se surpasser. Orchestre de concert comme d’opéra, il trouve sa place dans toutes les musiques. Il a été et reste le vaisseau amiral de l’interprétation musicale depuis l’avènement du disque et pour toutes les générations, il est le sympathique symbole du dynamisme et de la perfection musicale.

 

 

Dan

+Voir le « digital concert hall ». Également, le site de l’OPB.

 

+ La discographie est pléthorique, mais voici quelques « enregistrements préférés » (entre autres, bien sur) :

Beethoven : intégrale des concertos pour piano par Kempff et Paul Van Kempen (1951), les symphonies par Karajan (1962, 1977), symphonie n° 7 par Furtwängler (DG 1952), symphonie n° 9 par Ferenc Fricsay (1955), symphonie n° 6 par Cluytens (1959), ouverture d’Egmont par Celibidache (1947)

Brahms : symphonies n°3 (DG 1954) et 4 (EMI 1949) par Furtwängler, symphonie n° 1 par Boehm (1960), les quatre symphonies par Karajan (1962 et 1984) et par Jochum (1954), le concerto pour violon par Perlman et Barenboïm (1991) et par Ferras et Karajan (1964), les deux concertos pour piano par Emil Gilels et Eugène Jochum (1972)

Bruckner : les symphonies 4 et 7 par Jochum (1964), la neuvième en quatre mouvements par Rattle (nouveauté 2012, live)

Dvorak : symphonie n°9 par Fricsay (1960),

Haydn : symphonies n°89 à 92 par Rattle (2008)

Mahler : symphonie n°3, 4, 5 et 9 par Abbado (DG 1992 à 2002), n° 5 par Rattle (2000), symphonie n°9 par Bernstein (la seule fois, 1980)

Mozart : symphonies n° 35 à 41 par Karl Boehm (1967), les cinq concertos pour violon par Wolfgang Shneiderhan (violon et direction, 1960, DG) et David Oistrakh (id, 1974, Emi)

Puccini : la bohême, Pavarotti, Freni et Karajan (1974)

Schubert : symphonie n°9 par Furtwängler (1951), G. Wand (1990) et S. Rattle (2006)

Schuman : symphonie n°4 par Furtwängler (1952)

Schoenberg : la nuit transfigurée, Karajan (1975)

Strauss (Richard) : Une vie de héros, Ainsi parlait Zarathoustra, Karajan (1974)

Tchaïkovski : symphonie n° 4, Karajan (EMI 1973)

Vivaldi : les 4 saisons et deux concertos par Nigel Kennedy et Daniel Strabawa (Emi, 2001)

Wagner : Parsifal par Karajan (DG, 1980)

 

+ Film : La 5ème symphonie de Beethoven dirigée par Karajan, mise en scène et filmée en noir et blanc par H.G. Clouzeau en 1960… diabolique. Karajan s’en inspirera par la suite.