Eric Lamaignère, créateur des électroniques Euphya, dont le déjà célèbre amplificateur Euphya 280, nous évoque son itinéraire.

C’est à l’occasion de la sortie de son DAC Euphya Jonction, qu’Eric Lamaignère, concepteur des produits Euphya, a passé trois jours au 113, afin de nous accompagner dans les installations et tests de son DAC. Pour hifi113.com, il a gentiment accepté de revenir sur son parcours.

 

 

Eric, comment es-tu devenu le concepteur des produits Euphya ?

 

Dès l’adolescence, alors que je n’avais pas de grands moyens financiers, une grande passion pour la musique de ma génération m’a conduit à rechercher le meilleur moyen pour m’équiper d’une chaîne audio sans dépenser trop. J’ai très vite eu l'idée de concevoir et fabriquer mes propres enceintes acoustique. Je pensais ainsi réaliser à peu de frais les enceintes qui me faisaient rêver chez les copains… Pourtant, les nombreux prototypes réalisés se sont révélés finalement assez couteux ! Mais pouvoir écouter ses disques préférés sur sa propre réalisation apporte une grande satisfaction et il devient alors bien difficile de rester objectif sur la qualité musicale du système.

 

Avec le temps, j’ai appris à reconnaitre que les qualités objectives de mes réalisations de cette époque étaient bien en dessous de ce que je croyais… J’en ai tiré une leçon qui me sert maintenant dans mon travail : il est nécessaire de tenir compte de ce manque d’objectivité personnelle lors de la mise au point d'un produit destiné aux autres.

 

Si je n’ai finalement pas fait d’économies, ma passion pour la technique de reproduction audio était née! A l’époque, j'étais très intrigué par le débat passionné entre et les "techniciens" qui affirmaient que tous les amplis à transistor étaient parfaits pour nos oreilles et les "mélomanes" qui entendaient des différences et préféraient parfois les ampli à tubes.

 

Par la suite, je suis rentré en école d'ingénieur en électronique et tout naturellement, après m’être frotté aux enceintes lors de mon adolescence, je me suis lancé dans la conception de mon premier ampli. J'étais impatient d'appliquer la théorie d'un chercheur (Matti Otala): le premier à vouloir réconcilier mélomanes et techniciens. Elle expliquait rationnellement les différences entre amplificateurs par une distorsion sur les signaux transitoires (qui constituent essentiellement la musique) que les mesures en régime continu étaient incapables de mettre en évidence (la plupart du temps seules ces mesures en régime continu sont données).

La suite démontra que, si sa théorie est juste, elle est insuffisante : il y a d'autres distorsions cachées.

 

 

C’est donc en école d’ingénieur que tu as réalisé ton premier amplificateur Euphya ?

 

Si tu veux dire le premier avec la "qualité musicale Euphya", pas encore! Tout comme mes premières enceintes, mon premier amplificateur ne présentait pas de réelle qualité objective. Même si à l’époque, je pensais déjà disposer de la compétence requise, la suite m’a démontré le contraire…

 

En fait, c’est une série de rencontre et découvertes qui ont façonné l’histoire d’Euphya :

 

D'abord, une première rencontre capitale: un collègue qui s'avère aussi passionné de musique et de sa reproduction que moi, et jouissant d’oreilles étalonnées par de régulières fréquentations des concerts "acoustiques". Grâce à lui, j’ai pris conscience des faiblesses de ma première réalisation et de l'énorme travail qui restait à faire. Il est tout naturellement devenu l' "oreille" d'Euphya car il garde l'énorme privilège de n’être victime d’aucun préjugé technique.

 

Une série d'articles, dans la revue "L'audiophile", sous le pseudo d'Hephaïstos m'avait convaincu. On y donnait enfin une explication rationnelle à la supériorité théorique du tube : la théorie de la distorsion de mémoire (dont la fameuse distorsion thermique) assez facile à comprendre mais bien difficile à limiter avec les transistors et encore plus difficile à mesurer.

 

La rencontre avec Pierre Johannet, lui aussi ingénieur en électronique et passionné de reproduction audio, le premier à avancer une théorie (MDI: Micro Décharge d'Interface) convaincante pour expliquer le "son" des câble y compris les cordons secteur, et qui s'applique aussi à l'intérieur des appareils (sans cette théorie, l'influence audible des câbles est bien difficile à admettre pour un électronicien à l'esprit cartésien).

 

La rencontre avec Alain Choukroun, devenu notre revendeur Parisien. Il a été le premier à croire en nous et nous a ouvert la porte de la profession. Il m'a appris à mieux écouter la musique. Dans ses auditoriums, il m’aide à la mise au point musicale de chaque nouveau produit dans différentes configurations test que nous ne pouvons pas facilement reproduire dans nos ateliers.

 

Enfin, quinze années d’activité professionnelle à concevoir du matériel de télécommunication pro dans une grande entreprise. J’y ai appris à maîtriser les sujets clefs de la conception comme la fiabilité, l'adaptation aux outils de fabrication et la maintenance à long terme

 

 

C’est donc à la suite de ce retour d’expérience que tu as créé la première électronique Euphya ?

 

Presque, les éléments étaient tous en place, il restait à travailler en respectant une "philosophie" bien établie que nous avons déclinée en trois principaux objectifs:

 

- Privilégier le plaisir et l'émotion ressentis à l'écoute, le respect des intentions des musiciens, le respect des timbres et du rythme et le naturel de la spatialisation.

 

- Produire des appareils qui durent, faciles à entretenir et à utiliser pour s'adapter aux mieux au confort de nos clients.

 

- Toujours rester rationnel en cherchant à approfondir le lien entre les choix technique et l'écoute, seul moyen d'acquérir un vrai savoir-faire.

 

La musique a toujours le dernier mot face à la théorie, par respect du premier objectif. Cela a pour conséquence notable la mise de côté de toute solution technique, belle sur le papier, mais qui n'apporte rien à l'écoute. Je dis bien "mise de côté " et pas "rejet" systématique car, pour respecter le troisième objectif, nous cherchons à comprendre si c'est le principe de la solution qui est en cause, ou un problème de mise au point, de compatibilité avec une autre partie de l'appareil ou de la chaîne ou même un problème de mise en oeuvre et d'environnement acoustique. Cette méthode nous impose de très nombreuses modifications avec écoutes attentives par plusieurs personnes dans des lieux et configurations différentes.

Conséquence directe du deuxième objectif: le tube est exclu, ça tombe bien car nous pensons avoir la base théorique pour faire au moins aussi bien avec du transistor sur les points où le tube est réputé.

 

 

La philosophie initiale d’Euphya a-t-elle été amenée à évoluer par la suite ?

 

Fondamentalement non, nous avons juste du prêter plus attention aux demandes des clients concernant la facilité d'utilisation, comme la télécommande apparue sur l’Euphya Alliance 250, notre deuxième produit ou encore l'accès à la musique dématérialisée avec notre grande nouveauté 2011, le Convertisseur Euphya Jonction 1.10. Tout cela sans jamais sacrifier notre premier objectif, ce qui explique de telle durée de conception et de mise au point.

Dès la sortie commerciale de notre premier amplificateur Euphya, les réactions nous ont confortées dans notre démarche. Cependant, je garde le sentiment que notre travail est "sans fin", tant la force des sensations du concert (non amplifié) continue de nous défier…et cela maintient la passion !